Novembre et décembre 2010 :
Tous les soirs à 20h exactement, je m'injecte consciencieusement mes 50 unités de Puregon, toujours dans le ventre. Un coup à droite, un coup à gauche.
Je gère grave maintenant, c'est plus le même cirque qu'au premier soir, en moins de deux minutes, hop aiguille installée, hop dose fixée, et hop piqué c'est injecté.
Comme parfois je me rate quand même, il m'arrive de piquer près d'un vaisseau sanguin, et de jolis bleus émaillent mon ventre. Pas grave c'est pour la bonne cause!
Au 10 ème et au 12 ème jour de mon cycle, je dois passer une échographie de contrôle, histoire d'être sûrs que je réponds bien au traitement et que je ne fais pas d'hyperstimulation (si mes ovaires fournissent de trop gros follicules, ils seront vides d'ovocytes et donc infécondables).
Evidemment, à chaque fois y'a au moins trois femmes enceintes dans la salle d'attente.
Evidemment, à chaque fois ce sont les mêmes regards et sourires complices, comme si j'attendais pour ma toute première écho.
Evidemment, à chaque fois, j'ai envie des les étrangler avec leur air de bonne-copine-on-se-comprend.
Non tu ne me comprends pas, toi la femme enceinte qui s'apprête à s'extasier sur son lardon via un écran de télé. Si tu savais, si tu comprenais, tu ne penserais pas d'emblée ce que tu penses, même pas tu croirais qu'on est copines.
Les interminables minutes d'attente me laissent finalement le loisir de m'interroger : quand on est on enceinte, bascule t-on obligatoirement dans un monde féérique où toutes les autres potentielles baleines sont nos amies?
Je me jure à moi même que si un jour je suis enceinte aussi, dans une salle d'attente pour une échographie, je ne regarderais ni ne parlerais à personne.
Au moins, les échos sont encourageantes. A la deuxième ma gynéco estime que nous pourrons déclencher l'ovulation dans trois jours, grâce à l'injection d'Ovitrelle (Ô joie, encore de la piquouze en perspective).
Celle là, faut pas que je me rate, à la minute près, notre temps est compté de façon précise.
Evidemment, il va sans dire que dès la veille du déclenchement, plus de câlins : M. Lambda doit ménager ses troupes pour La Pougnette de la Destinée, le matin de l'insémination.
Le 4 décembre à 23h, ça y'est, j'ai fait ma piqûre d'Ovitrelle. Dans 36 heures nous avons rendez-vous avec ma gynéco et tout sera joué.
Dans 36 heures, ma vie va peut être irrémédiablement changer, c'est excitant et effrayant tout à la fois.
32 heures plus tard, il est 7h du matin et nous voici au laboratoire pour La Pougnette de la Destinée le prélèvement de sperme.
C'est une annexe du labo Enterprise, bien plus discrète, presque confidentielle, où tous les hommes viennent pour la même chose. Et tous accompagnés.
J'attends que M. Lambda fasse ce qu'il a à faire et après ça nous aurons trois longues heures d'attente devant nous, avant de récupérer le précieux échantillon de spermatozoïdes olympiques à ramener à ma gynéco pour qu'elle pratique l'insémination artificielle.
Je suis peut être à trois heures de ma nouvelle vie, peut être que dans trois heures tout aura changé à jamais.
Mr Lambda sort du box où on l'a prié d'entrer, me regarde l'air un peu ému je crois, et nous sortons main dans la main avec le sentiment que quelque chose de très important vient de se passer.
Nous nous installons dans un café proche du laboratoire pour un petit déjeuner bien mérité, et attendons. On se tient les mains très fort en essayant de ne pas évoquer la petite liste de prénoms que chacun garde sous le coude.
Pour ne pas risquer de provoquer le sort.
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