2 février 2012
Taux hormonal : toujours en dégringolade
Nous voilà demain, une fois de plus. C'est donc ça ma vie finalement, toujours attendre demain?
J'ai mal dormi, une fois de plus encore, mais ce matin l'ambiance est différente dans la salle de réveil de l'hôpital Moisi : L'équipe médicale du jour a visiblement été brieffée par l'infirmière d'hier soir.
Non seulement tout le monde est vraiment sympa avec moi, mais en plus je vois qu'on fait tout pour me faire sortir : harcèlement au médecin, au labo qui traine à faire remonter les résultats d'analyses de ce matin, jusqu'à à la secrétaire qui tape le compte rendu.
En attendant que l'aspect administratif soit au point pour que je regagne ma chambre, on m'aide à me lever pour que je puisse me faire une petite toilette au lavabo, et vraiment ça fait beaucoup de bien.
Ma cicatrice me tire et je dois rester assise au maximum pour me laver, mais mes idées sont un peu plus claires qu'hier et je me sens au moins un peu plus fraîche.
De retour dans mon lit, j'attends encore un peu et enfin des brancardiers arrivent : ça y'est je vais sortir de la salle de réveil!
A midi pile je suis dans ma chambre où je trouve un plateau repas et Monsieur Lambda, qui n'avait pas été averti de mon retour.
On discute un peu tous les deux, il me montre d'autres photos des enfants. Il me parle d'eux, comme ils sont courageux, comme ce sont des battants, comme il est pressé que je les voie.
Je me mets à pleurer devant les photos, les voir me choque, ils sont petits, tellement petits qu'ils tiennent entièrement enveloppés dans les fameux mouchoirs en tissus qui sont leurs langes, Lorna surtout qui mesure 35 cm (35 cm mon dieu, c'est plus petit que ma règle!), ils ont les traits tirés, sont branchés et intubés dans leur couveuse, c'est vraiment beaucoup à la fois.
Suis je vraiment prête à les voir tout de suite?
Je me perds dans des considérations bassement inutiles, genre "est ce que je mange avant d'y aller?", il est assez évident que je ne suis pas vraiment remise de mes émotions, et surtout j'ai peur d'y aller.
Mais Monsieur Lambda, insiste, me presse, et je laisse finalement mon plateau repas pour que nous y allions, un peu ratatinée dans mon fauteuil roulant, et leur vrais langes en main.
Plus nous nous rapprochons du service de la néonat, plus je deviens tremblante, je sais qui pousse mon fauteuil, ce n'est pas Monsieur Lambda, c'est la Peur en personne.
"Tu peux trembler, me dit-elle, tu as eu un aperçu de ce que tu trouveras, là bas. C'est un cauchemar que tu t'apprêtes à vivre, tu le sais bien. Mais ne t'inquiète pas, je suis là, et je reste à tes côtés. Toi et moi c'est pour toujours."
On arrive enfin devant le service, il faut sonner pour qu'on vienne nous ouvrir.
On nous fait passer les portes, nous laver laver et désinfecter les mains jusqu'aux coudes, et enfin, on y est.
Comme on arrive par le service de réanimation, c'est Daylan que nous allons voir en premier.
J'entre dans le box, où il n'y a pas d'autre bébé.
Je m'approche de sa couveuse et je rencontre mon fils.
Il est tout petit, vraiment. Il a un tuyau dans le nez, un autre dans la bouche, des capteurs partout, et il est un peu gris. Sa couche paraît énorme, pourtant c'est la taille spéciale prématurés, sa couche est à la taille d'une poupée et il nage un peu dedans.
Presque immédiatement, je me remets à pleurer.
Je lui demande pardon de lui avoir fait ça, de l'avoir mis au monde trop tôt au lieu de le garder au chaud en moi, je lui dis que suis désolée, tellement désolée, la Peine m'a attrapé le ventre pour le tordre dans tous les sens, je ne parviens plus à m'arrêter de pleurer.
Nous avons le droit de rentrer nos mains dans la couveuse pour toucher notre fils, mais pas de le caresser parce que sa peau est si fragile que cela peut lui faire mal, alors je pose mes mains sur lui, le plus doucement possible, pendant qu'il dort. Et je lui dis que je l'aime de tout mon coeur.
Je me remets un peu et nous allons alors un peu plus loin, dans le service des soins intensifs, où se trouve Lorna.
Elle partage son box avec un autre bébé.
A peine arrivée, c'est encore pire.
Elle est minuscule dans cette immense couveuse, toute grise elle aussi.
La première chose que je me dis en la voyant c'est qu'elle ne va pas tenir, elle est trop petite. Et je me remets à pleurer, comme une fontaine, j'en ai mal de façon si intense, la Peine avait déjà mis mes boyaux en charpie et elle en train de les passer tranquillement à la moulinette.
Ma fille, ma petite chérie, je te demande pardon à toi aussi, tellement pardon, je n'ai pas pu te mener a bon port en bonne santé, s'il te plaît, bats toi, bats toi encore, je t'aime déjà si fort, on va se battre toi et moi, il faut que tu survives.
Comme mes bébés ont perdu pas mal de poids après la naissance, leurs traits sont tout tirés, un peu gonflés, ils sont maigres.
Ce sont encore des foetus que je vois dans les couveuse, ils n'ont pas de cheveux, pas de sourcils, pas de cils, dans leurs yeux le blanc n'apparaît que très peu encore, et Lorna si chétive me fait même un peu peur.
Pendant deux jours entiers, je ne fais que pleurer, leur demander pardon, leur promettre qu'on va y arriver, tous les quatre ensemble.
Au milieu des puéricultrices et infirmières, avec Monsieur Lambda qui a deux jours entiers d'avance sur moi, je me sens complètement larguée, maladroite, j'ai du mal à trouver ma place.
Heureusement, le personnel infirmier en place est vraiment top, les puéricultrices et infirmières qui soignent mes enfants savent se montrer maternantes sans être maternelles, elles m'aident à prendre ma place auprès de mes bébés.
Le premier soin que j'ai pu donner à Lorna est un vrai déclic et je me sens plus à l'aise dans mes gestes à mesure que le temps passe.
Je passe des heures en néonat, naviguant d'une chambre à l'autre, j'en oublie même de manger.
Mais je ne peux pas réintégrer ma chambre et les laisser trop longtemps, ils ont besoin de moi.
Et moi aussi, j'ai besoin d'eux.
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