Mercredi 14 mars 2012 :
Aujourd'hui nous nous sommes rendus chez un ostéopathe qui prend en charge les nourrissons.
Daylan et Lorna ont pris l'habitude de tourner la tête toujours du même côté lorsqu'ils étaient en néonat simple, parce qu'ils étaient gênés par la lumière du couloir.
A l'hôpital, ils dormaient dans différentes positions : sur le dos, le ventre ou les côtés.
Mais à la maison, n'étant plus branchés à un cardioscope pour contrôler leur activité cardiaque et respiratoire, nous avons l'obligation de les faire dormir sur le dos.
Ce qui commence à poser un problème de tête aplatie à l'arrière et sur un côté.
La visite se passe bien, et l'ostéopathe nous donne une foule de conseils pour corriger la forme de leur tête.
Il nous prévient également que les manipulations qu'il a faites peuvent rendre les bébés très fatigués, et de ne pas s'alarmer s'ils sont grognons et chamboulés pendant quelques jours.
Nous rentrons donc chez nous, forts de toutes les recommandations qu'il nous a donné.
Le soir, l'ambiance est particulière, les bébés sont très, très nerveux. Lorna se montre très agitée et vomit son lait plusieurs fois.
Nous mettons ça sur le compte de la visite à l'ostéopathe et ne nous inquiétons donc pas.
Après avoir assuré les biberons, changes et câlins jusqu'à 2h du matin, je finis par aller me coucher et passe le relais à Monsieur Lambda.
Sitôt au lit, je tombe instantanément dans un lourd sommeil, épuisée de n'avoir pas assez dormi depuis trop longtemps.
Vers 3h30, Monsieur Lambda est épuisé aussi.
Comme toujours il va jeter un œil dans la chambre des enfants et il est heureux de voir qu'ils dorment tous les deux, enfin apaisés, Lorna dans une position relax, les mains sous la tête comme si elle était à la plage.
Il décide donc d'aller se coucher.
Sauf qu'il a soif, donc il fait un détour par la cuisine pour boire un grand verre d'eau.
C'est là qu'il entend quelque chose qui lui semble bizarre.
Revenu dans le salon, il entend dans le babyphone des bruits qu'il n'identifie pas.
Pris d'une Intuition puissante, il se précipite dans la chambre des bébés, n'allumant que le couloir qui mène à leur chambre pour ne pas les éblouir et y voir quand même quelque chose.
Il trouve Lorna en détresse respiratoire, qui se débat comme si elle se noyait, les yeux un peu révulsés.
Immédiatement il la prend et lui souffle dans la bouche.
Lorna se remet à respirer normalement dans ses bras, sans prendre d'appel d'air, ni tousser ni vomir. Juste comme si rien ne s'était passé.
Monsieur Lambda déboule dans notre chambre avec Lorna dans les bras en hurlant "appelle les secours, viiiite Lorna ne respire plus!"
Je me réveille brusquement et la voyant toute ramassée sur elle-même dans les bras de son père je pense immédiatement : "mon dieu, elle est morte."
La Peur me souffle qu'elle savait bien que ça finirait par arriver.
Tremblante je compose le premier numéro qui me vient à l'esprit, celui des pompiers.
En 5 minutes chrono, ils sont arrivés.
Pendant ce laps de temps, Lorna est tout à fait comme d'habitude, ni rouge, ni bleue, ni pâle, apaisée. Exactement comme si rien ne s'était produit.
Les pompiers l'examinent, nous posent quelques questions et se montrent détendus. Nous passons simplement pour de jeunes parents inquiets.
Néanmoins, ils nous proposent de nous emmener à notre hôpital de secteur par sécurité, qui n'est autre que l'hôpital Moisi, en nous assurant qu'elle "va très bien, dans une heure vous êtes ressortis".
Je monte alors dans le camion des pompiers, tandis que Monsieur Lambda nous suit en voiture avec Daylan.
Je suis soulagée par ce que nous ont dit les pompiers et rongée d'inquiétude en même temps.
Le temps de faire le trajet, j'ai mangé tous mes ongles.
Arrivés aux urgences pédiatriques, Lorna est examinée tout de suite.
Tout va bien, mais l'hôpital décide de la garder en observation pour la fin de la nuit et la matinée.
Monsieur Lambda rentre avec Daylan pendant que je reste auprès d'elle.
La voilà donc à nouveau hospitalisée, une semaine presque tout pile après sa sortie de la néonat.
En la voyant dans un lit d'hôpital, à nouveau branchée à un cardioscope, je me mets à pleurer toutes les larmes de mon corps. J'ai vraiment cru l'avoir perdue, et maintenant que je la sais en sécurité, la Tension s'en va et laisse place aux Larmes.
Elle se trouve à nouveau dans un box et il n'y a pas de lit pour moi, je reste donc assise sur une chaise, des heures durant à la regarder.
Jeudi 15 mars :
Vers 11h, une pédiatre passe nous voir et m'explique que Lorna va rester hospitalisée 24h de plus, pour me rassurer.
Je lui réponds que moi ça va et que si Lorna va bien ce n'est peut être pas la peine de lui infliger une hospitalisation juste pour me rassurer.
C'est alors que je me fais copieusement engueuler par la pédiatre.
Elle me dit que quelques heures passées aux urgences ne lui donnent pas le recul nécessaire pour savoir si Lorna est réellement hors de danger et si elle peut rentrer à la maison, il FAUT qu'elle soit hospitalisée "c'est pour son bien, vous le comprenez?".
Ok, alors pourquoi avoir fait genre qu'on la gardait pour me rassurer dans ce cas? Pourquoi ne pas dire la vérité tout simplement?
J'ai l'impression d'être la pire des mères indignes, occasion que ne manque pas la Culpabilité pour intervenir, évidemment : "t'as compris, c'est pour son bien, espèce d'égoïste qui veut rentrer chez elle!!".
Je reste auprès de Lorna jusqu'à 16h30.
Pendant la journée, du personnel (qui ne se présente jamais, je ne sais pas qui est infirmière, puéricultrice ou aide soignante), passe régulièrement dans notre box.
A chaque fois je dois expliquer l'histoire de Lorna, sa prématurité et ce qui s'est passé. Et à chaque fois on s'étonne qu'elle soit sortie de la néonat à 2kg020, en me disant que ce n'est pas normal du tout.
C'est bien ce qui me semblait! Mais il me semble aussi que ce n'est pas à moi qu'il faut dire, mais au service de la néonat.
Et lorsque l'une d'entre elles s'exclame "OoOOoh, j'adore les bébés prématurés, ils sont si petits, c'est trop miiiiiignon", j'ai envie de la baffer.
Non, être hypotrophe ce n'est pas mignon, c'est une pathologie bordel de merde! Ne sait elle pas ça, celle là, qui bosse en milieu hospitalier?
Monsieur Lambda finit par venir me chercher pour me ramener auprès de Daylan et me relayer au chevet de notre fille.
J'ai peu dormi et n'ai rien mangé depuis la veille, je suis au bout du roulax. Mais je ne peux ni me reposer ni manger, le ventre tordu par l'angoisse de la laisser, encore.
Je me retrouve en tête à tête avec notre fils jusqu'où lendemain, jour où Lorna doit sortir de l'hôpital.
Vendredi 16 mars 2012 :
Vers 11h c'est un autre pédiatre qui passe voir Lorna et explique à Monsieur Lambda qu'elle va bien, mais qu'ils la gardent 24h supplémentaires, alors qu'aucun examen n'est prévu.
Quand Monsieur Lambda me transmet l'info, je vois rouge : pourquoi la garder si aucun examen n'est prévu et qu'elle va bien? Juste pour le plaisir?
Voilà, encore une fois l'hôpital Moisi dans toute sa splendeur, on sait quand on y entre mais jamais quand on va en sortir.
J'attrape le téléphone pour exiger une explication claire, mais la Peur me saisit la main et retient mon geste.
Déjà que je suis passée pour une Mauvaise Mère hier, il n'est peut être pas utile d'en rajouter, au risque qu'encore une fois Lorna en subisse les conséquences.
J'essaie donc de ravaler ma Colère mais rien à faire elle ne passe pas, et même elle prend le dessus.
Arrachant ma main à celle de la Peur, j'appelle le service et finis par arriver à parler au pédiatre après plusieurs tentatives.
Il m'explique qu'on la garde parce qu'elle est toute petite, mais que oui oui, promis juré elle sort demain.
Samedi 17 mars :
Monsieur Lambda est resté toute la nuit auprès de Lorna.
Vers 10h, un interne passe dans le box et explique qu'elle va rester 24h de plus.
Là dessus Monsieur Lambda claque une durite et dit qu'elle est là depuis jeudi et que ça commence à bien faire de repousser sa sortie de 24h en 24h en nous disant qu'elle va bien qu'elle ne subit absolument aucun examen médical!
L'interne s'en va se renseigner.
Il revient en disant qu'en effet elle sort bien aujourd'hui, il s'est juste... trompé de dossier. Et pas d'excuses, ni rien, cela va sans dire.
Clap. Clap. Clap.
Quand Monsieur Lambda me rapporte cet échange, j'en suis à me demander s'il existe un diplôme de connerie à présenter à l'embauche à l'hôpital Moisi.
Mais enfin, enfin, ils rentrent à la maison en début d'après midi.
Dans le carnet de santé de Lorna, il est inscrit qu'elle est arrivée cyanosée aux urgences. Ce qui veut dire que son visage aurait été bleu.
Ce qui est complètement faux.
Monsieur Lambda et moi sommes profondément choqués de ce malaise qu'a eu Lorna et pour lequel nous avons peu d'explications, pas bien claires.
Par recoupements, on comprend qu'on la nourrissait trop, elle a certainement eu un reflux de lait et a failli s'étouffer avec.
Alors qu'elle réclamait encore après les biberons de 90ml que je lui donnais, à l'hôpital elle a eu des biberons de 70 ml et tout s'est bien passé. Sans pleurs, ni régurgitations.
Nous décidons d'un commun accord de tenir des tours de garde auprès de Lorna la nuit, et de se relayer toutes les 3 heures.
Monsieur Lambda, pense qu'il a paniqué pour rien et s'en veut beaucoup d'avoir imposé une hospitalisation de plusieurs jours à Lorna.
Mais enfin ce qu'il a vu il ne l'a pas inventé, et sans lui peut être que notre fille n'aurait pas survécu à cette nuit là.
Je suis convaincue qu'il lui a sauvé la vie et lui en serais éternellement reconnaissante.
Ca l'apaise un peu que je le lui dise.
Mercredi 21 mars 2012 :
On est tous encore secoués de ce qui nous est arrivé, Monsieur Lambda et moi sommes épuisés par nos tours de garde, mais on ne se résout pas à reprendre une vie normale.
Les bébés mangent mal, sont très agités et régurgitent beaucoup. J'appelle l'hôpital pour prendre conseil notamment au sujet de Lorna qui continue de réclamer à manger malgré les biberons de 80 ml que je lui prépare et qu'elle boit en entier.
La réponse que l'on m'apporte me laisse pantoise : "Vous êtes inconsciente de lui donner autant à manger! A son stade elle ne doit prendre QUE 70 ml, elle fait des caprices, vous ne DEVEZ PAS céder!!!".
Des caprices, alors qu'elle est toujours en âge négatif? Ils sont sérieux là?
Nous décidons alors d'aller voir notre pédiatre.
Notre pédiatre est un médecin de la vieille école, et base son diagnostique sur le bon sens.
D'après lui, si les bébés réclament, il faut leur donner à manger. Et s'ils régurgitent ce n'est pas grave, ils rendent juste le trop plein de lait qu'ils boivent.
Nous lui relatons alors le malaise de Lorna et ma peur à chaque biberon que je dois lui donner.
Il pense que ça n'a rien à voir avec la quantité de lait que je lui donne, selon lui elle a fait une mort subite du nourrisson ratée, Monsieur Lambda est arrivé juste à temps.
Ce diagnostique nous glace d'Effroi. J'entends ses ongles durs et gelés crisser sur le mur derrière moi.
Que se serait il passé si nous avions dormi tous les deux, écrasés de fatigue?
Voilà qui n'est pas pour nous encourager à arrêter nos tours de garde.
Nous rentrons chez nous, le cœur au bord des lèvres, l'estomac en charpie.
La Peur me regarde au fond des yeux et me demande "Alors, qu'est ce que je t'avais dit? Toi et moi, c'est pour la vie".
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