Décembre 2010 :
Après l'insémination, je suis sensée reprendre une vie tout à fait normale, comme si de rien n'était. Tant qu'à faire, eviter d'y penser autant que possible, vivre, m'amuser...
Genre.
Evidemment que ma vie s'est arrêtée. Evidemment que je ne pense qu'à ça tout le temps, à chaque seconde. Mon cerveau est bloqué sur le mode "et si ça avait marché?" 24 heures sur 24.
Je n'entretiens plus mes rêvasseries classiques : soldes permanentes chez Lancel, teint de rose sans rien faire au réveil, 1 kg de perdu a chaque bouchée de macarons Ladurée...
Non. Je pense bébé, bébé, chambre de bébé, bébé, fringues de bébé, prénom de bébé, bébé, bébé. Et quand j'ai le temps, je pense aux produits de beauté pour mamans et bébés, tiens donc.
A croire qu'une insémination artificielle, ce n'est jamais rien de plus qu'un shoot de came pour l'Obsession. Je sens son sourire moqueur dans mon dos, pendant que sa main glacée s'amuse à me parcourir l'échine et me fait frissonner d'effroi.
Mon anniversaire approche à grands pas. Cette année je fête mes 30 ans.
Je m'étais toujours dit que je serais mère a 30 ans, j'ai toujours espéré avoir mon premier enfant avant cet âge butoir.
Je ne saurais dire pourquoi exactement, 30 ans a toujours été une deadline psychologique pour moi.
Qui sait si cette année la vie ne me réserve pas la plus belle des surprise? Quel cadeau extraordinaire pour mon 30ème anniversaire! J'ose à peine y croire tellement ce serait trop beau.
Le 16 décembre 2010 :
On est jeudi, c'est mon anniversaire.
Je suis toujours enchantée de mon anniversaire, je m'en fiche un peu de prendre un an de plus en fait.
Chaque année, je l'attends avec impatience, je compte les jours, j'ai hâte d'y être. J'aime mon anniversaire.
Ce matin, il est 6h et quand le réveil sonne voici ce qui se passe dans ma tête : Quel jour sommes nous? ah oui le 16, ça fait 12 jours qu'on a déclenché mon ovulation, plus que 2 petits jours avant de savoir! Si mes règles devaient arriver, je vais commencer à avoir des pertes aujourd'hui.
Voila. On est le jour de mon anniversaire, et ma première pensée du matin est pour mon verdict.
Quand je m'en rends compte, je suis confuse.
Mais comme après un passage aux toilettes (pour faire pipi ET vérifier) je sais que je n'ai aucune trace de rien, je suis de bonne humeur. Je pars au travail contente et le coeur léger.
Ce jour là, au boulot, c'est une journée de séminaire. Tout mon service se rend donc dans d'autres locaux pour une grande réunion avec d'autres collègues. C'est à 10 minutes de mon lieu de travail, nous nous y rendons tous ensemble à pied.
En arrivant au bureau pour prendre un bloc notes, hop je refais un passage aux toilettes et toujours rien. Je suis d'excellente humeur.
Pendant le trajet, ma chef vient papoter un peu avec moi, et me dit d'un ton très sérieux:
"Mme Lambda, j'ai quelque chose d'important à vous dire (oh merde pourvu que je n'aie pas fait une énorme bourde au boulot). Je dois l'annoncer aux collègues demain (oh non, mon dieu, elle est enceinte!) mais je souhaite que vous soyez la première à le savoir (non, non, non pitié!). C'est important pour moi que vous sachiez avant tout le monde que je suis (pitié, pitié pas...) enceinte."
Mon cœur s'arrête. Mon cerveau aussi. Le temps, la Terre, la circulation des voitures aussi.
Enceinte?!
Bien sûr, je savais qu'elle essayait. Que ça faisait quelques temps, qu'elle avait quelques difficultés. Qu'elle a 40 ans aussi.
Et justement je ne pensais pas qu'elle le serait avant moi.
La Fourberie, fidèle au poste, me souffle immédiatement à l'oreille "c'est dégueulasse" alors que je m'efforce de lui sortir les félicitations d'usage.
En vrai, je suis sincèrement contente pour elle, c'est vrai quoi à 40 ans c'est super elle va enfin avoir l'enfant qu'elle désire tellement.
Et puis j'ai de l'affection pour elle, donc forcément je suis heureuse pour elle.
Mais et moi bordel? Et moi? C'est quand mon tour à moi? Suis je condamnée à assister à la mise en cloque de toute la France avant d'y avoir droit?
Au fond de moi, je suis effondrée.
Ma chef profite de cet instant de confidences pour me demander où j'en suis moi. Je lui explique qu'il n'y a plus que deux jours à attendre avant de savoir ce qu'il en est après l'insémination, et elle me répond qu'elle a confiance, qu'elle y croit dur comme fer. Elle me demande mon âge, je lui dis que j'ai 30 ans aujourd'hui, et je vois dans son regard qu'elle regrette de m'avoir annoncé sa nouvelle maintenant. Trop tard.
Elle me dit que je suis jeune et qu'elle est sure que mon bébé viendra très vite.
Je ferme les yeux pour ne pas l'entendre, je ne supporte plus cette phrase tout faite. Qu'est ce qu'elle en sait d'abord?
La journée se passe en un tourbillon, ponctué de passages réguliers aux toilettes, pour vérifier, encore et encore. Toujours rien, ouf.
Le reste du temps, je regarde ma chef, et son ventre. Elle est a 3 mois et c'est absolument insoupçonnable, elle n'a pas de ventre du tout. Son bébé est encore minuscule.
17h, fin de la journée.
Avant d'entamer mon long trajet du retour, je vérifie une dernière fois.
Toujours rien. Purée mais c'est super bon signe ça!! Pas la moindre douleur de règle, pas la moindre perte, rien de rien.
Je commence à devenir euphorique. A la maison j'ai un test digital, il peut détecter une grossesse à mon stade. C'est décidé, en rentrant je le fais.
Le trajet me paraît interminable, tout à coup je suis fébrile. Ca a marché, je le sens, je le sais. C'est sûr, j'aurais déjà des pertes sinon. Oh la la, il faut que j'annonce ça joliment a M. Lambda ce soir, que pourrais je imaginer pour lui faire une belle surprise?
Je ne tiens plus en place. Je cours à la maison, je ne suis jamais rentrée aussi vite depuis ma gare.
Arrivée à la maison, je jette mes clés sur la table basse, balance mon sac et mon manteau, et file à la salle de bain déballer mon test.
Je me précipite aux toilettes pour pisser dessus.
Ma main tremble un peu pendant que je le tiens. Je la retire, et là c'est le comble de l'horreur.
Mes règles sont arrivées. Pendant que je faisais le test.
Je regarde le stylo, incrédule. C'est pas possible. C'est pas possible. C'est pas possible.
Je viens d'avoir mes règles à l'instant. C'est pas possible.
Les larmes montent immédiatement. Merde, ça a foiré. Encore.
Je trouve la force de sortir des toilettes. Je jette mon imbécile de test qui s'est cru obligé de confirmer "PAS ENCEINTE (connasse)".
Ecrit en lettres capitales, j'ai l'impression qu'il me le crache au visage.
Je vais sur mon lit et me roule en boule pour pleurer à chaudes larmes. C'est pas possible, j'y croyais tellement, tout le monde y croyait tellement. Pourquoi, pourquoi, pourquoi ça ne marche pas? Pourquoi je ne peux pas avoir mon bébé moi aussi?
Les heures passent, M. Lambda rentre du travail et je n'ai pas bougé. Je n'ai plus envie, je suis vidée.
Aujourd'hui j'ai 30 ans, et pas l'ombre d'un bébé qui se profile à l'horizon.
Ma vie est foutue.
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